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Les LETTRES DE MA MAISON N°12
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Hantant la ville et les espaces publics, un troupeau de maisons hautes et étroites, qui s'ouvrent comme des boîtes à musique sur des histoires d'amour enfermé.
Les grandes envolées d'un projet passent à la moulinette de la réalité: ce parcours inévitable qu'on appelle création. Chronique de chaque étape.

 

4 Août : le semi-remorque des transports Prévost (ça ne s’invente pas) se présente à Champigny pour charger nos quatre maisons pour Manderen, accueilli par Patrick et Boualem. Le chargement se fait au mieux mais un malencontreux camion de la Poste bloque la sortie jusqu’à 15h. ça commence bien ! Certains partent de Thonon, où la Chorale a donné sa Rave Paroissiale, d’autres de Paris. On se retrouve au soir, dans le restau que l’équipe de Malbrouk nous a réservé, dans ce pays des trois frontières, vallonné, pentu, vert, et chargé d’histoire.

5 août : le camion livre sa marchandise mais se fait coincer par une malheureuse bitte de bois qu’il faut couper pour le libérer. Il faut dire que les routes sont étroites et ardues qui mènent au château. J’ai prévu que les comédiens puissent travailler sur leur maison pendant la matinée puis que l’après-midi soit consacré aux rituels communs et aux filages. Doux optimisme ! Malgré les efforts de Patrick & Boualem qui ne chôment vraiment pas, nous ne pourrons faire notre premier filage que passé 17h. Le temps est changeant, il pleuviote. Nous avons même une alerte pluie qui nous fait bâcher les maisons. Chacun s’affaire dans son coin, on repasse les rituels, on revoie les textes… et on se choppe une bonne crève.

La grande question que nous offre Malbrouck c’est : nous avons les ingrédients, quelle est la sauce ? Les ingrédients ce sont : les saynètes de chaque maison, les 4 péremptions qui les accompagnent, les déclarations d’amour du Sniper. Les saynètes sont baroques, musicales, en plusieurs langues, les textes sont théâtraux et en français. Comment faire passer ça au mieux et avec quelle nourriture pour les comédiens ?

J’ai prévu un scénario de visite qui alterne péremptions et saynètes avec le Sniper en antienne. Pour l’instant, je ne vois que ça. Le premier filage est mou de partout. Normal. Le second très dynamique et réjouissant. Normal aussi finalement. Au soir, on retrouve Jérôme et l’équipe du festival ainsi que quelques artistes fraîchement débarqués : Calixte de Nigremont, Figaro, Fred Tousch & Benzo. Frichti et repos bien mérité.

6 Août : le temps est gris. On débarque à 10h. Outre les Maisons, nous jouons aussi les Graaleurs, Miss Pick & ses Goules et les Veuves Noires. Il y a là par ailleurs Mazout et Neutron, le cabaret Philosophique, les Kags , l’Ogre de Barbarie, les Darhus et les Géants, deux compagnies d’échassiers. Le festival est placé cette année sous le signe des Créatures Féroces, au premier ou au second, voire troisième degré. Nous sommes placés derrière la poterne, en extérieur du château, sur une petite pelouse accidentée, mais les trois quarts des spectacles se feront sur scène (aménagée comme une cage aux fauves) et devant gradins.

Premières déambulations, cérémonie d’ouverture du festival, les Graaleurs se retrouvent à enquiller leurs saynètes sur scène et c’est magique. Ils sont suivis du cabaret philosophique qui, perdu sur une grande scène, a du mal à trouver ses marques mais les retrouvera en beauté dès le lendemain dans la taverne du festival.

Les Veuves et les Goules font leur petit effet, mêlées aux déambulations des autres compagnies. On mange sur le pouce. Nous jouons à 16h.

Et nous voilà avec 400 spectateurs qui déboulent, une jauge toute neuve pour nous dans ce spectacle. Une bien trop grosse jauge pour voir confortablement les maisons, surtout si personne ne s’assied (il y en aura un peu mais pas assez). Le public des Malbrouck mêle des gens qui viennent pour les spectacles, d’autres pour l’exposition, d’autres en famille pour passer un bon moment, allemands, luxembourgeois et français mêlés. Le tri se fera assez vite en ce qui nous concerne. 10 minutes sont à peine passés qu’une cinquantaine de spectateurs est déjà partie, soit que ça ne les concerne pas, soit que ça ne les intéresse pas, soit qu’ils trouvent ça nul et c’est leur droit. Laurent Petit, du cabaret, est là qui nous suit attentivement et d’un bout à l’autre, et son regard fait plaisir à voir.

Pas facile de bouger tout ce monde pour la première fois. Le rythme et la qualité du spectacle s’en ressentent. Il y a de bons moments, d’autres un tantinet languissants. Mazout et Neutron attaquent sur la scène du château et certains de nos spectateurs, qui ont l’œil rivé sur le programme, vont les rejoindre. On termine le spectacle au bout d’une et demi avec 100 fidèles qui ne mégottent pas sur les applaudissements même si les comédiens, déstabilisés par cette hémorragie, coupent court.

C’est fait. Et pas si mal finalement. Jérôme est là, qui nous a fait confiance pour ces avant-premières, et dit aux comédiens qu’ils doivent croire dans ce spectacle. Oui mais ça leur fait drôle. Nous avons peu l’habitude que les spectateurs zappent sur nous, soit parce que nous zappons sur eux dans nos déambulations, soit parce que le côté comique de nos spectacles fixes nous en préserve. Les maisons peuvent faire sourire, même rire, mais ce n’est pas un spectacle comique. Par chance, au détour de couloirs ou de rencontres au hasard, quelques échos flatteurs viendront les rassurer.

N’empêche que nous sommes en travail. Au débrief, on échange. Faire changer d’axe notre public neuf fois au cours du spectacle a ralenti les choses un peu inutilement. Djamel propose de tirer mieux parti des maisons de telle sorte que certains modules puissent se suivre sans déplacement. On s’y met tout de suite.

Pendant ce temps Mazout et Neutron terminent leur show sous les applaudissements. Les Kags entrent en scène et une partie des comédiens s’assied sagement sur les gradins pour profiter du spectacle. Le soir, c’est la chouille de Malbouck, cette fête particulière du château où artistes et personnel du festival se retrouvent entre eux pour délirer.

7 août : Il pleut quand on se lève. On arrive en retard pour les déambulations. Louis tire la gueule comme déjà depuis quelques semaines. ça démarre diesel. Le programme se déroule entre deux ondées. A 15h, grosse pluie. On bâche en catastrophe avec l’angoisse que la pluie nous empêche de jouer. Ce serait le pire qui puisse nous arriver. Mais à 16h, il ne pleut pas et, miracle ! nous sommes prêts. Plus de spectateurs que la veille. Jêrome et Romuald me diront par la suite qu’on aurait dit le tonneau des danaïdes, ce flot de spectateurs entrant par la poterne. Le rythme est meilleur, nettement meilleur, même si l’humidité de l’herbe décourage beaucoup de s’asseoir dessus. Les articulations sont plus rapides et le spectacle y gagne. Mais nous avons un peu perdu sur la cohésion des tireficelles. Pour le final, nous avons à peu près le double de spectateurs que la veille. Il est un peu brouillon mais allègre et les spectateurs chaleureux.

Il nous fallait cela pour nous donner la pêche avant les 3 spectacles de parcs en Fêtes.

Pour autant nous n’avons pas tout résolu, tant s’en faut. Ce spectacle n’en est pas un au fond mais plutôt une visite intégrant des spectacles. Du spectacle, il n’y a ni le rythme, ni les retournements, ni la dramaturgie et je me demande si nous ne nous perdons pas un peu à tout concentrer sur une période limitée. Je songe de plus en plus à troquer le titre de Maisons Hantantes pour celui de «  La Ménagerie des Coincés du Cœur » qui me semble nettement plus juste par rapport à la forme. Je me mets à rêver à une ménagerie ambulante qui fasse sa parade et aille de ville en ville. Mais il y a plein d’autres d’idées qui circulent. Le moins qu’on puisse dire de ce –appelons le quand même- spectacle est qu’il donne plein d’idées de mise en forme ; chez les comédiens évidemment mais aussi chez les spectateurs, notamment du métier.

Reste à faire le tri de tout ça et à préparer la prochaine échéance du 28 août au Parc d’Issy les Moulineaux. En attendant on range. Boualem et Patrick, qui ont été omniprésents pendant tout le séjour commencent à préparer le départ.

On se retrouve avec l’ensemble des artistes pour une cérémonie de clôture folle folle folle … et brêve. Tout le monde est crevé et aspire au repos.

Concernant les Maisons, ma prochaine échéance à moi se passera à Aurillac où je tâcherai de trouver de nouveaux partenaires pour la phase finale de la création. Et tagada et tagadou !

A suivre

(on peut voir un album photo de malbrouck sur www.acidu.com/albumalbrouck.htm)

le dossier en résumé: http://www.acidu.com/fichmaison.htm