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Les LETTRES DE MA MAISON N°5
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Hantant la ville et les espaces publics, un troupeau de maisons hautes et étroites, qui s'ouvrent comme des boîtes à musique sur des histoires d'amour enfermé.
Les grandes envolées d'un projet passent à la moulinette de la réalité: ce parcours inévitable qu'on appelle création. Chronique de chaque étape.

 

4 avril : Le camion est parti avec la maison rouge & Patrick. Nous arrivons à Encours lundi midi avec bande-son que nous devons maintenant intégrer à notre travail. Accueil chaleureux de Marion, Christophe et l'équipe de Komplex Kapharnaum. Le temps de monter la maison on se met au boulot.

La bande-son c'est à la fois une contrainte et une liberté. Il faut respecter ses rythmes mais en même temps elle offre des espaces de jeu qui sont précieux. A nous de les habiter au mieux. Nous devons reprendre presque tout le travail au début, redéfinir le rapport de Red Lerouge à sa tireficelle, préciser les déplacements, le langage gestuel, le jeu des accessoires. On se retrouve très très vite dans le cœur de la mise en scène et c'est dense.

Le soir venu, tout le monde en vélo pour aller au restau et dodo.

5 avril : La journée commence sur les chapeaux de roue dans la continuation de la veille. A 14h Christophe (de Komplex) fait un topo aux comédiens sur la technique de l'interview enregistré (contrôle du son, éviter le vent etc…) . A 17h Jacot et Mika sont en tenue dans le quartier de Grand Clément pour la première sortie de ce que j'appelle le « repérage sentimental ». Il s'agit d'interroger les passants sur leur rapport à l'amour et de la mener à raconter des histoires de manque. Pas tout simple. Cette partie a un double objectif : récolter des anecdotes et des opinions sur un sujet que nous sommes loin d'épuiser et jalonner de sens l'endroit où nous allons jouer. Il y a peu de monde. Le démarrage est un peu laborieux mais ça trouve son rythme de croisière. Fin des interviews. Pour les compléter éventuellement, Christophe nous cornaque au CCO (Centre Culturel Œcuménique) de Villeurbanne où le Crieur Public de la Croix Rousse et de Villeurbanne va officier. Totalement inspiré d'un roman de Fred Vargas qu'il a repris à son compte, le Crieur sème des boites aux lettres dans les quartiers où il sévit pour que les habitants puissent y mettre toute info qu'ils jugent utile de divulguer. Est-ce la présence de l'une télé ? ou son anniversaire qu'il vient de fêter ? Il fait un peu le cabot avant de commencer. Pas mal de monde. Le rituel est rodé et a ses habitués. Ça s'éternise un peu et même si c'est sympa, on n'est pas dans cette proximité là. On quitte discrètement la place pour aller à Encours écouter notre récolte de mots à nous. Jacot, qui n'avait pas l'air particulièrement enthousiaste pendant l'après-midi a l'oreille qui frétille. Il y a du banal, du touchant, du marrant, beaucoup de matériel finalement. J'ai prévu d'en glisser des extraits dans la deuxième partie spécialement écrite pour cette sortie à une maison. On verra demain.

Au soir, je fais une visite des urgences de la clinique des Tonkins, suite à une allergie qui me fait gonfler de partout. Histoire de se rassurer et que ça ne dégénère pas.

6 avril : Lors du repérage, nous avions prévu une première sortie de maison à Grand Clément. Très vite il s'avère que nous ne sommes pas prêts et que le temps consacré au montage et démontage serait mieux utilisé à terminer le travail et permettre à Patrick de résoudre les quelques problèmes techniques qui restent. Après accord de Marion, je décide donc de proposer un filage public mais sur place. On aura certainement peu de public mais ça nous arrange. Soulagement général dans l'équipe qui ne s'y voyait pas non plus.

Devant une douzaine de spectateurs dont une grande majorité de Komplex, on se fait donc notre filage. Il comporte une déclaration du Sniper à un individu puis à la foule, la saynète de la maison proprement dite, en musique et qui dure une dizaine de minutes, puis une deuxième partie spécialement écrite pour l'occasion au cours de laquelle le Sniper conteste, les acteurs se démasquent et la tireficelle fait une contre-saynète avant que tout rentre dans l'ordre. Le tout dure environ une trentaine de minutes. Mika se révèle particulièrement à l'aise bien que rien ne soit réellement fixé. Dans ce local, les effets prévus pour franchir la sourdine de la rue font particulièrement théâtraux, notamment pour la deuxième partie, les répliques sonnent grave, léger décalage. Les pépins techniques permettent la décontraction. Le costume et le masque de Red sont en bonne harmonie avec la maison , la tête de la chimère un peu moins. L'utilisation des interviews en voix off manque d'efficacité, il faudra aussi mettre en scène cette partie. On sort de ce filage avec satisfaction et frustration. Satisfaction d'avoir vu le bébé en marche, frustration parce qu'on ne peut pas encore en tirer de leçon. Reste à peaufiner, fixer, acquérir un semblant d'aise. Deux jours ne seront pas de trop.

9 avril : Nous avions initialement prévu de faire un parcours dans le quartier de Cusset mais il y a le même jour un festival du livre qui attirera du monde et ne voit pas d'inconvénient, tout le contraire, à nous recevoir. Ce rendez-vous là change donc aussi.

Patrick & Estelle sont arrivés en fin de matinée. Patrick se met tout de suite au démontage de la maison. Où se confirme que la maison rouge, pour lourde qu'elle soit, est pratique à monter et démonter pour peu que, comme ici, nous ayons un plateau pour la transporter. Merci Benoît. On débarque avec le matos en pleine tempête. Un vent à décorner les bœufs comme dit l'autre. Il est 13h30, nous devons jouer à 15h et pas grand monde sur place. Les présents sont tous à l'abri dans les expos. Remontage de la maison, on se caille un peu. Nous retrouvons notre Crieur des Rues qui met son mégaphone au service de l'animation et de l'information.

Il est l'heure. Le vent fait rage. Une soixantaine de spectateurs, dont pas mal d'enfants, sont présents pour la première sortie. Pour celle-ci, nous ne ferons que la première partie du spectacle, c-a-d les interventions préalables du Sniper amoureux et la saynète de la maison proprement dite. C'est épique et notre public a grand mérite à ne pas suivre ce vent qui pousse violemment. Mika, Jacot et Olivier s'accrochent courageusement mais le résultat tient plus de l'exploit que du théâtre.

La deuxième sortie se déroule non loin de la première mais pas en carrefour, ce qui rend la pression éolienne légèrement moins forte. Légèrement moins forte seulement. Nous présentons le spectacle dans sa version complète. Olivier, qui fait crânement ses déclarations tous azimuts est catalogué « fou » par les enfants mais ceux-ci, du coup, l'écoutent et le laissent développer son délire séducteur. N'empêche que ça remue, cet amour déclaré sans pudeur. La routine de la maison se passe à l'arrache. Jacot campe son personnage avec beaucoup de conviction. Après le côté lisse –trop lisse ?- mais voulue de la routine, due à l'immuable de la situation, à la régularité de la bande son, la deuxième partie, où on s'engueule, où on argumente, jette un poignée de « théâtre de rue » (spontanéité/échange/prise à témoin et à partie) dans le spectacle et c'est bienvenu. La maison Rouge (comme les autres maisons plus tard sans doute) joue bien son rôle de bocal dans lequel le « héros » fait son petit tour comme un poisson. Mais il faut qu'à un moment le verre se fendille. Qu'à ces histoires qui, même si elles sont traitées sur un mode léger, sont plutôt lourdes de sens, répondent des interactions des réactions des folies. C'est l'un des enseignements de cette préfiguration.

Il nous faut maintenant essayer avec des chorales de chair et non plus enregistrées ; c'est ce que nous ferons dans un mois autour de Morlaix.

On se retrouve, le soir venu, avec une partie de l'équipe de KK, pour un repas de débriefing et d'amitié. Ils ont été impeccables toute la semaine. Et Nicolas et Christophe ont été particulièrement précieux en ce qui concerne la technique pendant la journée. C'est la première résidence de jeu que nous effectuons chez une autre compagnie (la résidence à la Paperie était uniquement de construction). Nos démarches artistiques sont très différentes et c'est tout l'intérêt de pouvoir, mine de rien, les faire se cotoyer. Je ne sais s'ils auront gagné quelque chose de notre présence. Pour nous c'est indéniable.

Une pensée pour Corinne qui nous a fait la cuisine – et on sait que la cuisine c'est bien plus que de la bouffe -.

S : La Maison Rouge a été conçue et construite par Benoît Afnaïm assisté de Yanosh Hardy, Clément Dreyfus & Claire Oliveau (coproduction avec la Paperie d'Angers), l'accessoirisation et les costumes ont été conçus par Véronique Vigneron assistée de Boualem Behnous pour la construction, Dominique Christina & Hakima Amari pour les costumes. Fabrication du masque : Mona Bausson. Régie : Patrick Warin. Composition & enregistrement de la musique : Eric Traissard. Direction d'acteur : Louis Gatta. Préparation de la résidence : Marion Baraize (Komplex Kapharnaum) & Estelle Tran (Acidu). Ecriture & mise en scène : P. Prévost

(à suivre)

 

le dossier en résumé: http://www.acidu.com/fichmaison.htm